[Réagir] Ces mots qui brûlent

   Peut-être êtes-vous adeptes d’un certain réseau social que je ne suis pas, mais dont on me parle beaucoup (et parait-il que c’est encore pire qu’ailleurs…). Peut-être donc avez-vous suivi certaines polémiques incroyables partant de rien, entretenues par tous ceux qui y passent et qui en rajoutent une couche, consciemment ou non. Un brasier énorme, que la foule se plait à alimenter, par son incapacité à retenir ses mots les plus durs, les plus inutiles. Chaque intervenant ne fait qu’ajouter des mots à brûler, peu importe le camp, les opinions, la raison de s’exprimer. Tous, nous voyons l’incendie se profiler, et nous ne pouvons nous empêcher de le propager.

   Explication : ceci est ma vision du déroulement d’une polémique. Je ne prétends pas savoir y mettre les mots corrects, je ne prétends pas avoir la meilleure rhétorique, je n’accuse personne en particulier. J’ai conscience que nous ne pourrons jamais tous comprendre un mot, une phrase, une idée de la même façon, mais je refuse de les voir brûler inutilement à chaque incompréhension. Alors, voici notre histoire commune, celle au cours de laquelle nous avons tous, une fois dans notre vie, jeté des mots au bûcher. 

Petite vidéo illustrant le problème

(même si ici tout part d’une photo, le problème reste le même)

 

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Quand nous attisons la braise

L’auteur : Inconscient ou indifférent de la facilité avec laquelle la foule s’enflamme, l’auteur d’une publication écrit sans réfléchir au sens de ses mots. Ah si ! va-t-on dire. Il sait très bien ce qu’ils veulent dire, il en connait même l’étymologie. Ce que les autres en pensent, quelle importance ! Il connait le sens véritable, lui. Alors il écrit comme ça lui chante sur cet espace public qu’il sait pourtant si sensible, quitte à attiser la braise.

L’opposant : Attentif à tout ce qui s’écrit, l’opposant n’apprécie pas qu’on veuille lui imposer un point de vue qui n’est pas le sien. Et peu importe que l’auteur s’adresse à lui ou non, il est prêt à intervenir à la moindre étincelle. Une injonction, une croyance, une opinion… il connait le pouvoir des mots et il ne laissera personne l’utiliser à mauvais escient. Et peu lui importe d’être celui qui attisera la braise.

Le partisan : Incapable de différencier le sens de la camaraderie du fanatisme le plus obscur, le partisan guette le moindre commentaire qui pourrait mettre à mal l’auteur. Il le sent, il le sait, l’opposant viendra, attiré par la braise d’un mot déplacé, d’une phrase mal tournée. Il n’a qu’à se tenir en embuscade pour le prendre à son propre piège. Parce qu’il le sait, lui, qu’il pratique fort bien la rhétorique du passif-agressif. Provoquer, il sait faire, même s’il doit être celui qui attisera la braise.

 

 

Quand nous jetons de l’huile sur le feu

L’auteur : Et voilà, un opposant a répliqué. Plus ou moins aimablement, ce n’est pas ce qui l’interpelle. Non, lui, ce qui le blesse, c’est qu’on accuse la qualité de sa rhétorique, le bon usage de ses mots. L’auteur ne peut pas laisser passer un tel affront. Il pourrait s’excuser de s’être mal exprimé (et non dire que c’est l’opposant qui n’a rien compris, on sait ce que donnent les sous-entendus sur l’intelligence d’autrui). Mais non, il préfère se justifier. C’est bon pour son ego, ça lui donne l’occasion de démontrer toute l’étendue de son vocabulaire. Et peu lui importe s’il jette de l’huile sur le feu.

L’opposant : Il s’en doutait, l’auteur garde son ton condescendant. Il refuse de l’écouter, il ne veut pas admettre qu’il a eu tort de s’exprimer ainsi. Pire, il semble même le prendre pour un imbécile (quand on vous dit que c’est contre-productif d’affirmer que c’est l’autre qui n’a rien compris). Et puis voilà que le partisan s’en mêle, plus condescendant encore que l’auteur ! Or ça, l’opposant ne le supporte pas. Alors il réplique, il hausse le ton, parce qu’il le faut bien pour se faire entendre. Et qu’importe si ses mots jettent de l’huile sur le feu.

Le partisan : Ah ! Voilà que l’opposant se montre agressif ! Et ça, le partisan ne le supporte pas, peu importe qu’il soit en partie responsable à cause de sa pelleté de railleries. Il est hors de question qu’il laisse l’auteur seul face à cet ignorant qui ne saisit pas le sens d’une phrase (de toute façon, l’opposant aurait besoin d’un Bescherelle, n’est-ce pas ?). Il a bien l’intention de passer au niveau supérieur en usant cette fois de la technique frontale, quitte à jeter de l’huile sur le feu.

La foule : Elle a entendu un crépitement depuis l’autre bout de la toile virtuelle et comme elle adore les jolies flambées, elle décide de se déplacer. Les plus curieux d’abord, qui finissent tôt ou tard par prendre parti. Parce qu’après tout, eux aussi aimeraient participer. C’est beau les flambées, puis les mots brûlent si bien en ce moment, il n’y a pas à faire beaucoup d’effort pour que chacun puisse jeter de l’huile sur le feu.

 

Quand nous entretenons l’incendie

L’auteur : Il a usé de tous ses mots, mais ceux-ci, emportés par les flammes, se sont consumés. Il a mal à sa rhétorique, il ne veut plus participer. Il pourrait, bien sûr, dire à tout le monde de se calmer. Parce qu’après tout, même s’il s’agit d’un espace public, ça reste son bout de toile et il y possède une certaine autorité. Mais d’une part, il en veut aux opposants (tous, même ceux qui ont très courtoisement donné leur avis), alors c’est à eux qu’ils demanderaient de la fermer. D’autre part, il a peur de perdre ses partisans (un retour de flamme est si vite arrivé), alors il préfère ne rien leur dire. C’est finalement plus simple de se taire. Tant pis si son silence entretient l’incendie.

Les opposants : En meute, ils ont davantage de mots, et ça, ils le savent bien. Ils font émerger des commentaires haineux, des saillies responsables des pires brûlures. Des explosions aux dégâts irréparables, en mesure de se propager au reste de la toile. Les opposants les plus respectueux pourraient les retenir, leur montrer la violence de ces mots qui brûlent. Mais ils ont peur que la rage enflammée se retourne contre eux (le fameux retour de flamme, c’est pour tout le monde, vous savez). Alors ils se taisent et préfèrent, par leur absence de mots apaisants, entretenir l’incendie.

Les partisans : Croyez-le ou non, vous reliriez ce qui vient d’être dit sur les opposants. Oui, l’humain est le même dans un camp ou dans l’autre. Par manque de courage, de discernement, de bon sens, chacun use avec violence des mots qui brûlent, ou se réfugie dans un silence contemplatif. D’une façon ou d’une autre, chacun entretient l’incendie.

La foule : Toujours plus grande, elle s’amasse au cœur des flammes et commente inutilement ce qu’elle voit. Certains même s’emparent de braises pour les montrer au reste de la toile, au risque de propager l’incendie. Cette foule pourrait, bien sûr, prendre les seaux du bon sens qui éteindraient le feu. Mais pourquoi interviendrait-elle ? Elle n’est, après tout, pas responsable de ce brasier. Juste de l’entretenir par son plaisir inavoué d’assister au spectacle de la toile qui s’embrase.

 

Quand nous dansons sur les cendres

L’auteur : Ses mots sont en cendres, sa foi en la rhétorique ébranlée. Son amour propre en a pris un coup, mais au lieu d’apprendre de ses erreurs et de balayer les cendres, l’auteur décide de les utiliser pour montrer au monde les séquelles de son martyre. Au mieux, il se contente de geindre. Au pire, il façonne son discours pour embraser la foi de ses partisans les plus terribles (vous savez, ceux qui harcèlent dans l’obscurité de la toile). Il n’a pas dit son dernier mot, non, il sait encore comment danser sur les cendres de son propre brasier.

Les opposants : En infériorité sur un lieu qui leur est devenu totalement hostile, ils se sont éloignés du brasier pour se regrouper dans l’ombre. Là, ils poursuivent leurs invectives, à l’abri des regards haineux des partisans. Certains même continuent leur lutte dans le domaine privé, allant jusqu’à harceler ceux qui n’ont rien demandé. A leur manière, ils dansent sur les cendres, extirpant des noyaux ardents pour les montrer à leurs amis absents. Heureux d’avoir pu démontrer combien l’auteur et ses sous-fifres sont de mauvaises personnes qui refusent d’entendre leur version des mots.

Les partisans : Ils constatent les dégâts sans reconnaître y avoir pris part. Ce sont les opposants, ces idiots analphabètes, qui ont brûlé les mots, qui ont fait exploser la toile. Jamais eux n’auraient osé utiliser les mots à mauvais escient, n’auraient empêché une divergence d’opinion de s’exprimer calmement. Jamais, non, ils ne s’amusent de l’esprit si faible des opposants, pour les regarder avec un plaisir malsain s’enflammer de se savoir pris pour des benêts. Non, eux ont toujours été du bon côté, ils n’ont jamais franchi la barrière des gens intelligents. D’ailleurs, ils sont encore là, dans le camp des consolateurs. Ils dansent sur les cendres, dans cette simagrée de bienveillance envers ce pauvre auteur qui se lamente sur ses mots incompris.

La foule : Elle contemple les cendres avec un faux étonnement, s’indigne que le feu prenne si vite dans cet espace qu’elle fréquente. Elle se dit que ce sont les autres (ce sont toujours les autres), qui sont responsables de l’embrasement des mots, que jamais elle, elle ne participerait à un tel incendie. Elle fait bonne figure, elle vient en masse soutenir l’auteur. Parce qu’on soutient toujours la victime reconnue, n’est-ce pas, même quand on ne connait rien de l’histoire. Elle copie la rhétorique ambiante, et parce qu’elle est la meilleure des danseuses de cendres, elle accuse les opposants absents de bêtise monumentale (même ceux qui n’ont fait que donner un avis courtois). Entretenant de ce fait les quelques braises encore susceptibles de s’embraser. Elle veut se croire bienveillante, alors qu’elle a pris plaisir à regarder la toile brûler. Puis elle entend un crépitement au loin, et elle s’y rue en masse pour voir un nouvel incendie consumer les mots.

 

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Et alors, me direz-vous ? Que faut-il comprendre de tout ceci ? Et bien, évidemment, je n’impose aucun point de vue et chacun verra l’incendie depuis son propre bout de toile. Mais peut-être pourrions-nous simplement reconnaître que ces autres qui sont toujours responsables du pire, nous en faisons tous partis.

 

Parce que nous sommes potentiellement chacun de ces profils.

Parce que nous sommes tous susceptibles et narcissiques.

Parce que nous ne sommes jamais à l’abri d’une incompréhension.

Parce que nous ne sommes jamais à l’abri d’un jugement hâtif.

Parce que nous sommes tous plus ou moins fermés aux arguments de nos opposants.

Parce que nous nous rêvons tous meilleurs que ces autres que nous méprisons.

Parce que nous sommes tous les auteurs de nos mots.

 

Apprenons à ne pas attiser la braise, à ne pas jeter de l’huile sur le feu, à ne pas entretenir l’incendie et à ne pas danser sur les cendres.

Apprenons à reconnaître nos erreurs et à accepter celles des autres.

Apprenons la bienveillance, la vraie, celle que nous accordons aussi bien à nos partisans qu’à nos opposants.

Et pourquoi pas, apprenons à exprimer calmement nos différences. Sait-on jamais, il pourrait en ressortir de jolis mots.

 

Bonne journée à tous, et si vous le pouvez, évitez les mots qui brûlent. 🙂

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7 réflexions sur “[Réagir] Ces mots qui brûlent

  1. Elhyandra dit :

    Twitter, pour ce protéger de la haine d’autrui même juste en tant que lecteur, c’est passé son temps à masquer, bloquer, ne pas suivre les contenus qui peuvent nous intéresser pour ne pas tomber sur les réactions épidermiques des misogynes etc, bref, j’y partage mon boulot regarde celui des copains et je me casse ^^

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    • Eleyna dit :

      J’avoue que je ne pourrais pas aller sur Twitter. Je suis une véritable éponge, même quand ça ne me concerne pas, je perçois la colère, la tristesse, les blessures des gens et ça me travaille. Pour moi, le plus souvent, il suffit de discuter calmement pour voir qu’on fait une véritable tempête d’un petit désaccord que l’on peut largement surmonter (sans forcément tomber d’accord, on n’a pas besoin d’être toujours sur la même longueur d’onde pour vivre ensemble). Après, je sais bien que ne pas être sur les différents réseaux me coupe d’une partie des autres lecteurs, mais je trouve que je gère déjà suffisamment au quotidien pour en ajouter. ^^

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      • Elhyandra dit :

        Il faut se préserver avant tout et Twitter n’est absolument pas recommandable, Instagram est le réseau qui me plait le plus, il suffit de s’abonner à ce qui nous plait pour avoir un fil personnalisé

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      • Eleyna dit :

        J’avais essayé Instagram, mais je me débrouille assez mal avec l’application depuis mon ordinateur, du coup, je n’ai pas vraiment insisté. ^^ Mais oui, ça semble plus sain que Twitter. 🙂

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