[Chronique Littéraire] Les Nuages de Magellan, Estelle Faye

   Aujourd’hui, pour cette première chronique pour le Printemps de l’Imaginaire Francophone, un petit détour par l’espace, avec le récit de space opera Les Nuages de Magellan, d’Estelle Faye (Editions Scrineo).

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FICHE TECHNIQUE

  • Titre : Les Nuages de Magellanles-nuages-de-magellan_recadre_paint_14-09-768x1219
  • Auteur/Autrice : Estelle Faye
  • Illustrateur/Illustratrice : Benjamin Carré
  • Édition : Scrineo
  • Collection : /
  • Genre : Science-Fiction, Space Opera
  • Public : Tout Public
  • Cycle : One-Shot
  • Pages : 288
  • Parution : 4 octobre 2018
  • Langue : Français
  • Format : Numérique – Broché
  • Prix :  13,99 euros – 21 euros
  • ISBN : 978-2-36740-585-8
  • Lien : Scrineo : Les Nuages de Magellan

Résumé : 27ème siècle. L’Humanité s’est étendue à toute la Voie Lactée. La nouvelle frontière, ce sont désormais les Nuages de Magellan, mais les Compagnies ont fini par renoncer à tout projet de colonisation, préférant les affaires aux rêves d’exploration spatiale. Deux siècles auparavant, l’humanité a pourtant maîtrisé l’énergie sombre, une ressource quasi illimitée, mettant ainsi fin aux guerres pour les énergies fossiles. Ont suivi plusieurs siècles de liberté, d’exploration, d’avancées… Puis, insidieusement, de nouveaux jeux de pouvoir et d’influence se sont mis en place, conduisant à la multiplication des hors-la-loi. Depuis, un mythe court la galaxie : des pirates auraient créé sur Carabe, une planète perdue, une république idéale, hors d’atteinte du pouvoir des Compagnies. Dans l’un des derniers postes frontières avant les Nuages, Dan, une jeune serveuse idéaliste, chante du blues dans un bar pseudo texan tout en rêvant d’aventures stellaires. Elle est fascinée par Mary, une cliente taciturne dont on dit qu’elle serait peut-être une ex-pirate… Les Nuages de Magellan n’ont pas dit leur dernier mot !

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MON AVIS

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Lu dans le cadre du 8e Challenge Littérature de l’Imaginaire.

Lu dans le cadre du Printemps de L’imaginaire Francophone 2020.

 

Couverture et Accroche

    J’apprécie la couverture illustrée par Benjamin Carré, vraiment très jolie dans son tracé et ses teintes verdâtres, mais pour être honnête, je n’ai pas trop compris en quoi elle montrait la spécificité de l’univers d’Estelle Faye. On peut certes reconnaître les silhouettes des deux protagonistes principales du récit, mais l’ambiance générale ne me semble pas vraiment caractériser ce que j’ai perçu de mon voyage interstellaire. Jolie donc, mais pas vraiment évocatrice pour ma part.

   Après lecture, je suis un peu gênée par le résumé en partie construit par rapport au titre. Or, au risque de vous surprendre, on parle plus souvent des Nuages de Magellan dans ce résumé que dans le texte en son entier. Ce choix que je ne comprends pas (enfin si, ça claque, ça évoque un ailleurs lointain et dépaysant), est frustrant pour quelqu’un qui aime réfléchir au sens des choses, puisqu’il en a résulté un manque total de suspense et de tension (et cette dernière phrase qui… enfin bref… :/ ). Toutefois, le reste du résumé est plutôt pertinent, puisqu’il dépeint rapidement le contexte, pose l’enjeu principal de la planète perdue et introduit les deux protagonistes de l’histoire. Bref, si vous vous attardez sur ces derniers points, vous serez certainement moins déçus.

 

Prose et Structure

   Estelle Faye étant une autrice de plus en plus citée dans le milieu de la littérature de l’imaginaire francophone, j’étais quelque peu curieuse de découvrir sa plume. Mes attentes étaient peut-être trop hautes, ou mon choix de lecture pas des plus pertinents pour une découverte, car j’ai été un peu surprise par le style employé pour ce récit. En effet, s’il est facile à lire et très grand public, en particulier dans son champ lexical accessible aux primo-lecteurs de SF, il est aussi très raconté. Bien sûr, une partie de cet effet est dû à l’idée même de l’autrice de faire replonger l’un de ses personnages dans ses souvenirs. Mais la narration elle-même est très explicative (parfois même répétitive) et tient beaucoup, un peu trop pour mon goût personnel, le lecteur par la main. Il n’est plus question de vous montrer un sentiment, mais de vous le montrer et de vous le raconter, comme pour s’assurer que vous avez vraiment bien compris le passage en question. Personnellement, c’est une approche qui m’a toujours un peu gêné, j’aime en tant que lectrice avoir de l’espace pour interpréter et réfléchir. Toutefois, je reconnais que cela peut être une bonne façon d’aider des lecteurs profanes à découvrir le genre du space opera. A aucun moment vous ne pouvez vous perdre, tout est balisé pour assurer votre compréhension. Ainsi donc, si vous ne connaissez pas du tout le genre, ce peut-être une bonne porte d’entrée pour rejoindre les étoiles.

    En terme de structure, le récit est assez commun au genre, et pour les habitués, il ne présentera certainement pas beaucoup de nouveautés ou d’originalités. On peut toutefois noter une façon non linéaire de raconter l’histoire, puisque le personnage qui rapporte les éléments passés essentiels à la compréhension de l’intrigue peut raconter ses souvenirs autant que directement les revivre avec le lecteur, permettant ainsi une alternance dans le procédé, ce qui donne un certain dynamisme au récit. On peut regretter une accélération un peu brusque sur la fin, avec des ellipses temporelles qui accentuent le côté raconter, puisqu’il faut alors rappeler ce qu’il s’est passé durant ces sauts dans le temps. Mais globalement, ça reste très efficace, et là encore, je pense que les primo-lecteurs de space opera seront conquis.

 

Personnages et Narrateurs

     Le récit s’offre deux protagonistes féminines au caractère bien défini et qui, pour une fois, ne sont pas ramenés systématiquement à leur genre (parce que vous savez, la spécialité des récits qui se veulent féministes, c’est d’insister sur à quel point c’est rare d’avoir une femme à tel poste… le féminisme dans l’exception quoi…). Et puisqu’on en est à parler des clichés de genre, je tiens à préciser que, pour une fois qu’une des protagonistes est homosexuelle, elle ne se sent pas sexuellement attirée par sa camarade (genre, il faut absolument caractériser les orientations sexuelles des protagonistes entre eux…). Et ça, c’est bien. 🙂

    Dan est une jeune serveuse sur un petit planétoïde minier, à la limite de la Voie Lactée. Naïve et d’un naturel volubile, elle rêve d’aventures sans toutefois trouver le courage d’échapper à sa condition. Sa rencontre avec Mary va lui forcer la main et ses péripéties stellaires vont peu à peu la façonner et renforcer ses ambitions de liberté. C’est un personnage plutôt attachant, ce genre de personnalité solaire qui attire par sa bienveillance un peu naïve et son envie d’aider les autres. Elle garde toutefois un côté très pragmatique, notamment grâce à son expérience dans les bars, qui lui permet de cerner rapidement les personnalités des gens, mais aussi de jouer un peu de son apparente fragilité pour endormir la vigilance. Elle peut aussi être très agaçante dans son insistance à obtenir ce qu’elle veut, ici des histoires, et je dois dire qu’elle a globalement de la chance de ne jamais tomber sur des individus insensibles à son charme juvénile. Elle évolue beaucoup au court de l’histoire, on la voit vraiment grandir et s’affirmer, ce qui la rend, à mon sens, la plus réaliste de tous les personnages évoqués.

    Mary, dont on comprend rapidement qu’il s’agit d’un pseudonyme, est une femme à la peau sombre, aux éternelles dreadlocks et à l’âge indéfinissable, qui fréquente le bar où sert Dan. Elle inspire une certaine fascination, d’autant qu’elle entretient le mystère autour d’elle. Mystère qui toutefois est rapidement écarté en présence de la jeune serveuse (ce dont l’autrice a conscience puisqu’elle tente de justifier pourquoi « Mary » révèle son identité secrète au bout de deux minutes de conversation… on adhère ou non). On découvre rapidement que « Mary » a un passé un peu trouble et qu’elle s’est elle-même effacée la mémoire pour d’obscures raisons, si bien qu’elle ne se souvient plus des événements les plus récents. Elle a toutefois toujours en mémoire ses débuts dans la piraterie spatiale, des souvenirs ardents, parfois trop, qui explique son comportement à la fois distant et bienveillant. Un personnage qui pourra réserver quelques surprises à la plupart des lecteurs, même si, hélas pour moi, ce ne fut pas du tout le cas.

    On retrouve quelques personnages secondaires qui deviennent parfois narrateurs, comme Anshu, un moine chanteur, ou Kieren, un barman descendant d’anciens humains génétiquement modifiés, qui sont intéressants mais limités dans leurs caractéristiques, la faute probablement à la taille du récit qui laisse peu de place au développement des personnages.

 

Univers et Atmosphère

    Pour qui connait les univers de space opera, celui-ci ne semblera ni particulièrement original, ni particulièrement fouillé. Là encore, on peut pardonner vu la taille du texte et vu la probable intention de s’adresser à un public plutôt large. On se retrouve au 27e siècle, avec une espèce humaine qui a colonisé la galaxie et pratiquement oublié, comme à chaque fois, la Terre Mère. Après la phase de colonisation, est venue la phase d’expérimentations, avec les traditionnelles modifications génétiques, puis les fameuses lois bioéthiques qui les interdisent et finalement la main-mise par d’immenses multinationales interstellaires nommées Compagnies. Un environnement assez courant du genre et qui sera, au-delà de cette base, assez peu développé. Ce n’est pas un mal en soi, c’est à mon sens suffisant pour planter le décor et permettre à tous de suivre l’intrigue sans se perdre dans des explications géopolitiques ou des terminologies techniques.

    Là où j’ai été davantage déçue, c’est dans la comparaison avec la piraterie maritime. La Grande Piraterie est souvent nommée dans le récit, et c’est tout le problème. Elle est nommée, mais pas montrée. Quand bien même l’histoire se passe un demi-siècle après la période faste pour les pirates, il n’est jamais dit ce qui, concrètement, explique qu’on les assimile aux bandits des mer. On évoque comme porte-étendard la notion de liberté, dans une opposition très manichéenne aux Compagnies dictatrices prêtes à user du feu infernal pour massacrer les opposants pacifistes. Mais on ne parle jamais de leurs moyens de subsistance, de leurs assauts sur des vaisseaux ou des planètes isolées, de leurs façons de traiter leurs prisonniers et de faire taire les témoins. On en parle essentiellement comme des gens désespérés, qui ne font jamais rien de mal,  se font tirer dessus dès qu’ils sortent le bout de leur nez et sont justes les pauvres victimes d’un système trop restrictifs et inhumains. On rappelle que la guerre, la révolution, c’est sale, mais on ne le montre jamais. Tous les torts sont attribués aux Compagnies, même ceux qui changent de camp sont finalement de pauvres hères manipulés qui finiront par revenir un jour dans le giron de la liberté. Si je peux comprendre le message, je trouve que tout cela manque de nuances, même pour une roman tout public.

 

Intrigues et Thématiques

    Quelque part dans la galaxie, une révolte pacifiste se fait mater dans le feu et le sang par les Compagnies, sous le regard de milliers de caméras. A l’autre bout de la Voie Lactée, Dan, spectatrice du carnage depuis le bar où elle travaille, se retrouve sous le coup de l’émotion et de l’alcool à entonner un chant de soutien pour ces morts engagés. Une intervention militante filmée qui ne passe pas inaperçue et attire aussitôt sur elle les foudres des Compagnies. Obligée de fuir pour sa survie, Dan s’embarque dans le vaisseau de Mary, une mystérieuse habituée de son bar…

    Comme j’ai déjà pu le signifier, l’intrigue en elle-même n’est pas des plus originales pour le genre, mais elle est efficace et plaira certainement aux amoureux des aventures rocambolesques qui ne souhaitent pas se perdre dans la technicité de certains space opera. Facile à lire, facile à suivre, elle réservera certainement quelques surprises et moments d’émotions pour de nombreux lecteurs, même si personnellement, j’avoue ne pas avoir pu savourer les twists et autres révélations puisque, hélas, je les ai tous anticipé. Le fait est que le côté très insistant de la narration appuie avec trop d’évidence sur ce qui, finalement, n’est pas répété, donc ce qui a le plus d’importance (coucou Nuages de Magellan). Malgré tout, je ne suis pas complètement déçue, car j’ai conscience que, malgré ses qualités littéraires, ce récit n’était pas vraiment fait pour moi et que je ne pouvais donc pas prétendre à me faire surprendre, et j’ai par ailleurs bien aimé l’évolution de la relation entre les deux protagonistes. Quoi qu’il en soit, il conviendra certainement aux personnes qui se laissent emporter dans leurs voyages littéraires.

    Comme vous vous en doutez, la principale thématique du récit est la notion de liberté, notion très importante pour le peuple et qui a des échos certains en cette période où tout le monde à l’impression, à tort ou à raison, de ne pas pouvoir jouir pleinement de cette liberté individuelle. Sur le fond, j’aime beaucoup l’idée, il est d’ailleurs courant d’assimiler la course aux étoiles à ce besoin d’évasion, de réappropriation de sa vie, du rapport plus naturel et abrupt à l’environnement parfois hostile. Sur la forme, comme précisé plus haut, je trouve dommage qu’il faille toujours en passer par un rapport de force très manichéen où le système qu’on déshumanise par des amalgames financiers sans visages s’opposent à la noblesse d’âme du peuple soumis et innocent. Comme s’il était difficile de reconnaître les erreurs de l’humanité et qu’il devenait plus facile de les attribuer à une notion un peu floue, à un concept abstrait plutôt qu’à l’espèce et l’individu. Comme si, au final, la liberté, c’était de pouvoir balayer ses responsabilités communes et individuelles, de refuser ses devoirs pour s’emparer de ses seuls droits. Et que la défense de nos seuls droits faisait de nous des martyrs courageux, quand l’acceptation de nos devoirs nous rend coupables de complaisance envers un système autoritaire. Est-ce pourtant aussi simple que cela ? Oui, vous l’aurez compris, on peut se questionner sur notre société en questionnant les thématiques d’un livre de space opera. Et quand on y pense, ce peut être aussi important que d’avoir pris plaisir à suivre l’histoire de Dan et Mary. 😉

 

Conclusion

    Les Nuages de Magellan est un ouvrage de space opera grand public, facile d’accès et qui suit deux protagonistes féminines au tempérament bien trempé. Si l’histoire se lit vite et que l’intrigue est plutôt prenante, elle ne fait toutefois pas preuve d’une grande originalité et peut manquer de contexte pour qui a déjà certaines bases dans le genre. De plus, sa narration explicative peut donner une impression de se voir raconter plutôt que montrer les événements, une sorte de prise en main du lecteur qui peut être un peu contraignant pour ceux qui aiment bien avoir de l’espace pour leur interprétation personnelle. Un ouvrage certainement plus adapté aux profanes du genre et qui doit donc être une bonne porte d’entrée pour voyager parmi les étoiles.

 

Alors, envie d’embarquer avec Dan et Mary ? 🙂

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UN APERÇU D’AILLEURS SUR

Les nuages de Magellan ?

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12 réflexions sur “[Chronique Littéraire] Les Nuages de Magellan, Estelle Faye

  1. Ambre dit :

    C’est marrant, du point de vue de la configuration des personnages j’ai l’impression que ça ressemble à son autre roman « Un éclat de givre », où il est question d’un jeune homme travesti, bisexuel, qui chante du jazz dans un club et qui va rencontrer un mec mystérieux, client du club. Après ce sont peut-être les seuls points communs, du moins j’espère.

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    • Eleyna dit :

      Je n’ai pas lu Un éclat de givre, mais personnellement, les thématiques ou motifs récurrents chez un auteur ne me dérangent pas forcément. On a tous des sujets qui nous tiennent à coeur et ça ne m’étonne pas que certains artistes s’essaient à différentes variantes autour de ces sujets. Mais je comprends que ça puisse déranger certains lecteurs. 🙂

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  2. OmbreBones dit :

    Pour lire Estelle Faye je te conseille plutôt Bohen qui est largement au dessus de Magellan que j’ai trouvé sympa mais voilà, comme tu dis c’est grand public et peut être trop peu pour les amateurs de sf. Comme je ne l’étais pas encore quand je l’ai lu ça ne m’a pas du tout gênée mais je comprends que ça puisse !

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