[Chronique Littéraire] Coeurs de Rouille, Justine Niogret

   Et si je vous emmenais à la découverte des derniers golems de l’univers SF de Coeurs de Rouille, de Justine Niogret (Editions Mnémos) ?

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FICHE TECHNIQUE

 

  • Titre : Cœurs de Rouillec1-hecc81lios-cc593ur-de-rouille-623x1024
  • Auteur/Autrice : Justine Niogret
  • Illustrateur/Illustratrice : dpcom.fr
  • Édition : Mnémos (première édition Le Pré aux Clecs)
  • Collection : Hélios
  • Genre : Science-Fiction, Steampunk
  • Public : Adulte
  • Cycle : One-Shot
  • Pages : 270
  • Parution : 24 mai 2018
  • Langue : Français
  • Format : Poche
  • Prix :  8,90 euros
  • ISBN : 978-2-36183-643-5
  • Lien : Mnémos : Cœurs de Rouille

Résumé : La cité est en plein déclin. Les robots, jadis fidèles serviteurs, régressent jusqu’à devenir des machines stupides ou de terrifiants prédateurs. Saxe est un artiste qui survit en travaillant sur les golems actionnés par magie. Dresde est une automate qui n’a connu que le luxe avant que son maître ne l’abandonne. Tout les sépare et pourtant ils vont partager un rêve commun : s’enfuir. Traqués par un tueur mécanique, ils se lancent dans une course peut-être sans espoir : retrouver la mythique porte ouvrant sur la liberté.

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MON AVIS

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Lu dans le cadre du Challenge Littérature de l’Imaginaire.

 

Couverture et Accroche

   La couverture est très intéressante car elle représente parfaitement la complexité du sujet du récit. Les automates, protagonistes de l’histoire, sont à la fois terriblement proches et éloignés de leurs concepteurs humains, et c’est ce que rappelle ce visage aux traits communs mais froids, ces yeux dorés irréels, cette peau de céramique adoucissant les courbes de l’automate, mais n’en rappelant pas moins qu’elle dissimule un squelette inorganique. La plume dans sa main s’oppose un peu à la lourdeur de sa structure, tout en renvoyant une idée de lien avec le vivant. Le fond quant à lui rappelle la rouille du titre, cette rouille omniprésente dans l’environnement, symbole du dysfonctionnement de la cité. Bref, j’aime beaucoup la composition.

    Si j’avais été intriguée par le résumé, ce qui m’avait poussé à acheter l’ouvrage, je suis un peu moins convaincue depuis ma lecture. Non pas que je n’ai pas aimé celle-ci, mais je pense que le résumé peu donner une image un peu erronée de ce qui fait la force du récit. On peut notamment penser que les robots (qui ne sont d’ailleurs pas appelés ainsi) régressent d’eux-mêmes, ou encore qu’il est vraiment question de magie, alors qu’il s’agit plutôt d’une perte de savoir. Par ailleurs Saxe travaille sur des agolems, et pas des golems (sachant que la différence est essentielle dans le récit, je trouve l’approximation pas terrible) et il n’est jamais clairement dit que Dresde vivait dans le luxe (pas comme un lecteur peu l’entendre en tout cas). Bref, ce n’est pas vraiment trompeur, mais c’est un choix de vocabulaire qui, dans un résumé ayant vocation à attirer et donc à suggérer des idées à l’esprit du lecteur, n’est selon moi pas parfait.

 

Prose et Structure

   La plume de l’autrice est incontestablement poétique, riche en recherches stylistiques, unanimement saluée et d’ailleurs vantée dans la préface. Il est vrai qu’elle instille une atmosphère particulière au récit, un peu trouble et imprécise dans ce qui touche au palpable, se penchant davantage sur le souvenir sensoriel et émotionnel. Or, il s’agit d’une démarche qui ne sera pas abordable par tout le monde, notamment par cette accumulation des effets de style pour parler d’un seul et même sujet. Là où le lecteur aura probablement l’habitude d’une ou deux phrases pour parler d’un détail avant d’enchaîner rapidement sur l’action, Justine Niogret peut passer plusieurs paragraphes à parler d’une façon, puis d’une autre, de la couleur de la céramique ou du sentiment de son protagoniste. Il faut donc accepter que le style n’est pas coutumier à ce qui se fait dans le genre, plus actif ou descriptif, mais qu’il s’agit bien d’un roman d’atmosphère où le style a un rôle prépondérant dans la compréhension des thématiques.

   Concernant la structure, on se retrouve en revanche avec un découpage tout à fait conventionnel en chapitre, suivant une intrigue relativement traditionnelle dans son idée de voyage initiatique. Si le style peut donc vous surprendre,vous ne serez en revanche pas totalement dépaysés.

 

Personnages et Narrateurs

   Les personnages sont assez restreints dans cette histoire à ambiance de huis-clos, puisqu’on se retrouve avec deux protagonistes et un antagoniste.

   Saxe est un jeune garçon dont il est difficile d’estimer l’âge. Parlant parfois de l’âge adulte comme s’il avait des années d’expérience derrière lui, réagissant aussitôt comme un enfant craintif, je dirais que c’est un pré-adolescent que la société a forcé à vieillir trop vite. Dégoûté de ce qu’il a compris du fonctionnement de la cité, déçu dans ses rêves d’artiste glorieux capable de donner la vie, il choisit de tout quitter pour se libérer de son triste destin. Seul humain de l’histoire, on ne peut s’empêcher de comprendre ses tourments intérieurs, notamment dans l’acceptation de ce que peut apporter un compagnon golem.

   Dresde est un automate d’ancienne génération, aussi appelé golem. Assexué, Saxe lui attribue malgré tout une personnalité féminine (un choix expliqué d’assez jolie façon), ce qu’en tant que lecteur, on accepte assez facilement. Contrairement aux agolems de nouvelle génération, Dresde possède un caractère bien à elle et est en mesure de prendre des décisions par elle-même. Si elle se montre plutôt protectrice avec Saxe, elle n’en révèle pas moins son rapport troublant avec l’humanité, ce qui peut par ailleurs, donner des moments de tension bien plus perturbant que l’arrivée de l’antagoniste.

   Cet antagoniste, Pue-la-Viande, est comme Dresde, un golem qui a survécu à la purge des anciens modèles en se dissimulant dans les tréfonds de la cité. Devenu chasseur d’agolems pour se nourrir de leur perle, il prend rapidement en chasse Dresde et Saxe afin d’assouvir sa faim. Mais le déroulé de l’histoire nous en apprend davantage sur l’origine de cette obsession, accentuant ainsi l’aura terrifiante et dramatique du tueur mécanique. Un personnage à la fois figé dans sa nature et pourtant complexe à appréhender, notamment dans son rapport à l’humanité, mais aussi à la cité.

 

Univers et Atmosphère

   Coeurs de Rouille se déroule dans un univers que je placerais entre la science-fiction et le steampunk. En effet, l’atmosphère assez sombre qui dépeint la cité rappelle un peu celle des dystopies, pleine de noirceurs, de violences et de détérioration. On perçoit la déchéance de la société, cette perte progressive des connaissances, des valeurs, ce besoin récurrent de toujours recréer le passé, mais en perdant un peu plus en sens à chaque essai, jusqu’à l’oubli. Cela est d’ailleurs présenté dans la forme de la cité où chaque nouveau quartier se construit par dessus les anciens pour en effacer l’existence, en une sorte d’immense carotte géologique où chaque étage redécouvert témoigne d’une période et de ses connaissances oubliées. A cela s’ajoute des références ponctuelles sur l’usage du gaz, ou encore sur un environnement entièrement contrôlé et mécanisé, du vent à l’oiseau piaillant dans son arbre métallique, d’où ce côté steampunk, renforcé par les imprécisions volontaires concernant le fonctionnement des automates, savoir perdu pour les humains qui se contentent désormais de recopier un savoir-faire mécanique (même si leur source d’énergie, la perle, peu présenter un aspect magique).

   D’ailleurs cette volonté de tromper les certitudes du lecteur se retrouve dans le nom qu’on donne à ces créatures, golem pour l’ancienne génération ayant une personnalité propre, et agolem pour la nouvelle génération d’automates objets conçus pour répondre à de simples tâches. Un renvoi à la fois à ce créateur qui insuffle une âme à sa créature humaine, et donc à l’éternel questionnement sur l’homme se prenant pour un dieu, mais aussi à l’origine mystique des golems dans la religion juive, rapportée ici sous la forme d’un savoir perdu quasi magique aux yeux des humains contemporains au récit. Cette symbolique assez forte se retrouve par ailleurs dans une multitude d’autres créatures terrifiantes grouillant dans les bas-fonds de la cité, dont la fameuse représentation en argile, chose informe recopiant l’original, ici l’automate pensant, lui-même copie de l’homme.

 

Intrigues et Thématiques

   Après avoir fui sa vie de jeune réparateur d’agolems, Saxe rencontre dans un quartier déserté Dresde, une automate de l’ancienne génération détruite après une terrible prise de conscience humaine. Une golem pensant par elle-même, bien décidée à cesser son interminable attente d’un maître qui ne reviendra jamais. Ensemble, le garçon et la golem décident d’échapper à leur destin pour trouver un sens à leur vie. Mais cela ne se fera pas sans embûche, entre prises de conscience sur leur propre nature, découverte du lourd passé de la cité et traque mortelle par une entité mécanique elle-même obsédée par ses propres limites.

   Même si l’atmosphère à quelque chose d’angoissant et de suffocant, l’intrigue en elle-même n’est pas d’une grande originalité dans son parcours initiatique. Les péripéties sont là pour faire évoluer les personnages et réfléchir le lecteur. A ce titre, n’attendez pas que tout vous soit expliqué de façon claire et rationnelle, car l’autrice ne cherche pas tant à dévoiler comment techniquement on en est arrivé là, qu’à approfondir notre questionnement sur diverses thématiques, à commencer par notre humanité. La thématique est d’ailleurs très forte et ce n’est pas sans raison si nous nous retrouvons avec le terme golem plutôt qu’automate, qui donne la possibilité d’appréhender les créatures comme des entités ayant une conscience propre.

   Dans la continuité de cette thématique, nous retrouvons tout un questionnement sur le souvenir, une image, un son, une odeur à laquelle on rattache une émotion, ce petit détail chéri ou honni qui n’est pas toujours compréhensible d’un point de vue extérieur, mais qui fait le propre d’un individu. Ce qu’illustre en partie la quête de Pue-la-Viande, insatiable dans ce qu’il ne parvient pas à appréhender. Il y a aussi une réflexion sur la mort et le sens qu’on lui donne, intimement lié aussi bien au corps matériel qu’à ces fameux souvenirs, échos d’un esprit ou d’une âme qui habiterait aussi bien un habitacle de chair que de céramique.

   Comme j’ai pu le souligner, la référence au golem est aussi une réflexion sur l’humain créateur conceptualisant un esclave à visage familier, animant sa créature en lui insufflant la liberté de penser, avant d’en prendre peur et de l’annihiler. On parle ainsi de l’acte créatif, de sa perception éthique, du questionnement du créateur sur sa création douée de conscience, de cette conscience différente de celle du créateur et qui fait peur. A cela s’ajoute la question de l’illusion, l’idée de retrouver l’homme dans la machine, bien sûr, mais aussi l’illusion personnelle et communautaire, psychique et matérielle, cette déchéance progressive vers une vie sans saveur où tout est faux, mais que plus personne ne souhaite remettre en question, exceptés Saxe et Dresde.

   Et ce questionnement se fait étape par étape, au fil des étages de plus en plus anciens, sombres et poussiéreux, remontant dans le temps autant que s’enfonçant dans les profondeurs humaines, afin de se défaire des couches de savoir répété, déformé, mal assimilé, régurgité sans la moindre autonomie. Car c’est aussi cela ce récit, deux automates conscients, l’un de céramique, l’autre de chair, qui apprennent à se défaire des contraintes imposées pour réfléchir par eux-mêmes sur leur identité et leur perception de la vie. Et peu importe ce qu’ils en concluent, l’important, c’est qu’ils aient pratiqué le chemin par eux-mêmes.

   A noter que je regrette un peu la fin, qui retombe dans les écueils plus habituels du genre, avec un besoin de péripéties un peu artificielles pour « dynamiser » le récit, comme si l’autrice savait au fond que son choix de narration atypique risquait de déplaire à certains. Dommage, j’aurais personnellement préféré qu’elle tienne sur la longueur dans son exercice de style. Mais a contrario, cette phase active sera certainement bienvenue pour de nombreux lecteurs. 😉

 

Conclusion

    Cœurs de Rouille est un roman à l’écriture soignée et poétique qui déploie une ambiance propice à la réflexion dans un univers de science-fiction à touches steampunk. Loin des romans d’action ou des descriptions explicatives d’un grand et vaste univers typique du genre, Justine Niogret nous plonge dans un voyage initiatique qui interroge et remet en perspective la notion de vie, de mort, de création et même de cette illusion commune dans laquelle l’humanité s’affaire sans la moindre remise en question. Parce qu’après tout, ne sommes-nous pas tous un peu des automates, dans le fond ? 😉

 

Qui veut descendre les étages de la cité ? 🙂

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UN APERÇU D’AILLEURS SUR

Coeur de Rouille ?

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7 réflexions sur “[Chronique Littéraire] Coeurs de Rouille, Justine Niogret

  1. OmbreBones dit :

    Merci pour le lien ! J’ai un peu redecouvert le roman en lisant ta chronique parce que j’avais quasiment oublié tout son contenu x) mais j’en garde une impression plutôt positive sauf pour la fin, comme toi. J’aurai préféré qu’elle assume jusqu’au bout.

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